L'Échiquier du mal
Dan SIMMONS

Prix British Fantasy du meilleur roman fantastique en 1989
Prix Bram Stoker du meilleur roman fantastique et d'horreur en 1990
Prix Locus du meilleur roman d'horreur en 1990

Mon avis

Bon.
Ben c'est pas mal du tout.
Ça se lit bien.
C'est intéressant et ça donne envie d'y retourner.
Après, je comprends bien qu'à son époque ce livre ait été innovant mais aujourd'hui, il y a quantité de polars tout aussi bien. De plus je regrette une forme d'absence de style d'écriture particulier. Mais cela se laisse lire avec plaisir et l'intrigue est bien là. Certes il est considéré comme de la SF mais cela se rapproche plus du polar, le surnaturel étant un détail technique qui a son importance malgré tout. Mais on est plus dans un ressenti de suspense avec des situations d'attente genre "qui se cache derrière la porte" que l’on trouve souvent dans les polars noirs.

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Extraits

Franz Anton Mesmer avait connu ce phénomène même s'il ne l’avait pas compris. Je soupçonne Mesmer d'avoir eu quelques traces du Talent. Les pseudo-sciences modernes l’ont étudié, lui ont donné un nou¬veau nom, lui ont enlevé une grande partie de son pou¬voir, ont rendu confus son usage et ses origines, mais il reste l'ombre du phénomène décrit par Mesmer. Per¬sonne n'a une idée exacte de ce qu'est un Festin.
La montée de la violence moderne me désespère. Je cède parfois au désespoir, littéralement, à ce gouffre de désespoir profond et sans avenir que Hopkins appelait le putride réconfort. Quand je contemple cet abattoir qu'est devenue l'Amérique, ces papes et ces présidents abattus de façon presque routinière, je me demande s'il existe d'autres personnes douées du Talent ou si la bou¬cherie n'est pas tout simplement devenue un nouvel art de vivre.
Chaque être humain se nourrit de violence, de la démonstration de son pouvoir sur son prochain, mais rares sont ceux qui —comme nous —ont goûté l'ultime pouvoir. Et sans le Talent, rares sont ceux qui connais¬sent le plaisir inégalé du meurtre. Sans le Talent, même ceux qui se nourrissent de la vie ne peuvent savourer le flot d’émotions qui envahit le traqueur et sa proie, l'ex¬tase toute-puissante du traqueur qui a transgressé toutes les règles et tous les châtiments, l'étrange soumission presque sexuelle de la proie dans cette ultime seconde de vérité où toutes ses options sont supprimées, tous ses avenirs déniés, toutes ses possibilités effacées par cette démonstration de pouvoir absolu.
La violence moderne me désespère. Sa nature imper¬sonnelle, son caractère routinier qui l'a rendue acces¬sible au plus grand nombre, me désespèrent. J'avais un poste de télévision, mais je l’ai revendu au plus fort de la guerre du Viêt-Nam. Ces tranches de mort asepti¬sées — que l’oeil de la camera rendait encore plus dis¬tantes — ne signifiaient rien à mes yeux. Mais je pense qu'elles signifiaient quelque chose pour les veaux qui m'entourent. Lorsque la guerre a pris fin, ainsi que sa comptabilité macabre détaillée chaque soir sur les écrans, ils en ont redemandé, encore et encore, et les écrans de cinéma et les rues de cette chère nation mou¬rante leur ont fourni en abondance une provende médiocre. C'est une dépendance que je connais Bien.
Ils ne comprennent rien. Lorsqu'on se contente de l'observer, la mort violente est une tapisserie de souillure, de tristesse et de confusion. Mais pour ceux d’entre nous qui goûtent au Festin, la mort peut être un sacrement.


Quelle est la cause première de la violence chez l'homme ? Quels rôles jouent la violence et la menace dans nos relations quotidiennes ? En essayant de répondre à ces questions, j'espérais naïvement pouvoir expliquer un jour comment un psychopathe de génie comme Adolf Hitler avait pu transformer une des nations les plus civilisées du monde en une machine à tuer obtuse et dénuée de sens moral. J’ai commencé par constater que nombre d'espèces animales possèdent un mécanisme leur permettant d'établir une hiérarchie dominante dans un groupe donné. En général, ce pro¬cessus se déroule sans drame. Même des prédateurs aussi féroces que les loups ou les tigres connaissent des signaux de soumission qui mettent immédiatement fin à tout affrontement violent avant qu'un des membres du groupe ne meure ou ne soit gravement blessé. Mais quid de l’homme ? Sommes-nous, ainsi que certains le supposent, privés de ce genre d'instinct et par conséquent condamnés à faire éternellement la guerre ? Existe-t-il une folie génétique propre à l'espèce humaine ? Je ne le pense pas.


Je connaissais bien ce type de femme vaincue par la vie je m'étais moi-même fait passer pour une copie d'Anne Bishop durant ma longue période d'hibernation. C'était un satellite en quête d'un monde autour duquel orbiter. N'importe quel monde ferait l'affaire, à condi¬tion qu'il lui épargne la longue ellipse glacée de l'indé¬pendance. Un frère paraplégique était un don de Dieu pour une telle femme; elle aurait pu se consacrer de toute son âme à un mari et à des enfants, mais un frère impotent lui offrait beaucoup plus d'excuses pour éviter les tracas et les obligations inhérents à une vie normale. Toujours prévenantes, toujours effacées, ces femmes sont en fait des monstres d'égoïsme. Pendant qu'elle se répandait en éloges sur son cher disparu de frère, je per¬cevais le fétichisme pervers que lui inspiraient bassinet et chaise roulante, l'admiration qu'elle se vouait à elle-même, qui avait sacrifié pendant plus de trente ans sa vocation d'épouse et de mère pour soigner avec amour un cadavre à peine mobile et constamment puant. Je connaissais bien Anne Bishop : sa vie était un long sui¬cide masturbatoire. En y pensant, j'eus honte d'être du même sexe qu'elle. Souvent, lorsque je rencontre des loques dans son genre, j'ai envie de les forcer à s'enfon¬cer les deux mains dans la bouche jusqu'à ce qu'elles s'étouffent dans leurs vomissures, et que c'en soit fini.
«Oui, oui, je comprends, dis-je en lui tapotant le bras tandis qu'elle se lamentait sur sa misérable existence. Je comprends ce que vous devez ressentir.