Rien de grave
Justine LEVY

Mon avis


Je n'ai pas aimé ce livre. je l'ai affiché sur mon site uniquement parce qu'il y a certains passages que je trouve bien et que je cite ci-dessous.

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Extraits

Et puis, le lendemain, mon égoïsme reprend le dessus, et ma lâcheté, et le souci que j'ai, depuis qu'Adrien m'a quittée, de fuir le malheur, tous les malheurs, même celui de maman si malade : faut être drôlement heureux pour supporter d'être triste, drôlement heureux ou drôlement courageux, et moi je ne suis pas très courageuse, et je suis très très malheureuse.


Alice et ses seins, il y a des filles qui même habillées ont toujours l'air d'être nues, j'étais une de ces filles.


...je te connais par coeur, je t'aime par coeur, personne jamais t'aimera par coeur comme moi.


On se taisait, il y avait trop à dire, on s'entendait si bien quand on ne se disait rien, c'est dans le silence qu'on s'enten¬dait le mieux, finalement.


...mais, nuance, énorme nuance, elle ne m'a pas quittée pour quelqu'un d'autre, pour un autre enfant qu'elle m'aurait préféré, elle m'a quittée pour mon bien, pour mon bonheur et parce qu'un jour elle reviendrait. Adrien m'a quittée pour une autre. Adrien ne reviendra pas. C'est ça, être adulte. Être adulte, c'est être remplacée.


on n'avait pas vingt ans, on s'aimait mais on ne savait pas ce que cela voulait dire, on ne savait pas que ça voulait dire qu'on allait souffrir, qu'on allait pleurer et se battre et se faire du mal et avoir envie de mourir, on avait vu les autres mais on n'était pas les autres, on était un miracle, on allait gagner là où Ariane et Solal avaient échoué, on vivait dans l'instant, on ne se posait pas de questions, on ne savait pas qu'un jour l'amour deviendrait un souvenir qui tord le coeur.


Je sortais de chez le psychanalyste, c'était ma deuxième et dernière séance, il m'avait dit quelque chose du style ce qui vous énerve (j'étais très énervée) c'est que votre mère ait couché avec votre père, et j'avais trouvé ça tellement violent que je m'étais sauvée...


Bref, voilà que Pablo arrive et, avec Pablo, je me dis que ce ne sera peut-être plus tout à fait comme avant. Bien sûr, je ne l'aime pas. Je me dis que je ne l'aimerai jamais, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, parce que l'amour est atroce, parce que l'amour cesse toujours un jour et que je ne veux plus vivre, jamais, la mort de l'amour. Je ne suis pas assez solide, je me dis, pas assez courageuse, pas assez suicidaire. Je déteste l'amour, je me répète, Adrien m'a défini¬tivement guérie de l'amour. L'amour est toujours moche, grotesque, pitoyable, pouah, comment est-ce qu'ils peuvent tous répéter que Belle du Sei¬gneur est un grand roman d'amour alors que c'est juste le contraire, et que ça montre combien l'amour est affreux ? Mais enfin il arrive, Pablo. Il débarque dans ma vie de petit monstre énervé, et c'est vrai qu'il me plaît. Il me plaît plus qu'un jean, plus qu'une chanson, plus que je ne veux l'admettre, il me plaît malgré le verrouillage à double tour et c'est, quand même, le risque de l'amour. Est-ce que j'ai envie de le prendre, ce risque ? Est-ce que ça vaut la peine de laisser derrière moi cette vie sans choix, où je n'ai à décider de rien, comme un enfant, sauf qu'un enfant a des désirs, des caprices, des angoisses, et que moi je ne ressens rien, je me laisse porter, bercer, caresser, Gabriel veille à ce que je mange, à ce que je dorme, à ce que je m'amuse un peu, c'est confortable, c'est idiot, c'est une vie presque foetale, j'ai des tout petits plaisirs et des chagrins infimes, je pleurniche pour un stylo cassé et je jouis d'un bout de pain trempé de thé, avant ça m'aurait fait hurler, avant je n'aurais eu que mépris pour ce genre d'existence, papa m'a appris à me battre, papa, depuis que j'ai douze ans, m'a toujours dit ne mets jamais l'amour au poste de commande, ne dépends jamais d'un homme, ne dépends jamais de personne, sinon c'est le malheur...


Une heure passe comme ça, quelqu'un sonne à la porte, et c'est moi qui vais ouvrir avec juste une grande serviette nouée au-dessus des seins : c'est Pablo.
« Heu, il y a Gabriel, je grimace, outrée qu'il soit venu comme ça, sidérée qu'il ait trouvé mon adresse, un peu flattée aussi et, au fond, pas complètement surprise non plus.
Bon alors qu'est-ce qu'on fait ? il demande en essayant, avec son pied, d'ouvrir un peu plus grand la porte.
Je... je ne sais pas !
Eh bien moi je sais.
Ah ?
C'est lui ou moi.
Bon.
Lui ou moi ?
Je ne sais pas.
Tu sauras quand ?
Demain.
Pourquoi demain ?
Parce que.
Qu'est-ce qui va se passer d'ici demain ? Rien...
Ben alors ?
Alors d'accord.
Quoi d'accord ?
D'accord c'est toi.
C'est moi ?
C'est toi. »
C'est qui ? crie Gabriel de la chambre et Pablo m'attire vers lui, m'embrasse dans le cou, puis me chuchote, en me prenant la main qui, en principe retient ma serviette et qui, du coup, la laisse tomber, qu'il m'attendra dans un bistrot, tout près, mais pas toute la nuit non plus.


Contente aussi d'avoir choisi, d'avoir eu la force de décider, ça n'a pas été si dur en somme, ça n'a pas fait si mal, ça n'a même pas fait mal du tout. Est-ce que j'ai pensé au mal que je faisais à Gabriel ? Non. Je n'ai pensé qu'à moi, au mal que ça ne me faisait pas, exactement comme quand j'ai quitté maman. Sauvagerie des enfants trop sages.


Je déteste, d'habitude, les gens qui disent partie au lieu de morte. Partie où, on se demande. C'est nul, c'est ridicule, cette façon de mettre des gants, de la pudeur, comme quand on dit israélite pour pas que juif écorche la langue.


Il a eu l'air triste, plus de la photo déchirée que du fait de me quitter. Il a toujours été fou avec les photos. Parfois je me disais qu'il n'aimait les choses de la vie que pour les voir un jour en photo. Moi c'est le contraire, rien ne me fait plus peur qu'une photo, rien ne me semble plus faux-cul qu'une belle photo de bonheur avec toute la quantité de malheur qu'elle promet...


Je ne sais pas quoi te dire. Je te dis c'est vrai, tu perds un peu tes cheveux mais ça te va bien, c'est joli. Tu me souris. Ou peut-être que ce n'est pas à moi que tu souris. Tu souris d'un sourire triste, et tes yeux se plissent, et des tas de petites rides comme des pattes d'araignée autour de tes yeux. Tu as vieilli, tu as vingt-sept ans et tu as vieilli, je ne l'aurais pas remarqué si on vivait ensemble, mais aujourd'hui je le remarque et c'est comme ça que je comprends qu'on est vraiment séparés. Toi aussi tu le comprends. Maintenant, tu viens de le comprendre. Et tu me souris, de ce sourire triste qui ne m'est pas vraiment adressé. Tu ne poses pas, aujourd'hui. Tu n'avais pas prévu cette rencontre, tu n'as pas répété et donc tu ne poses pas.


Bon, tu me dis, avec ce claquement de langue de quand tu te sens coupable, alors soyons amis, j'aimerais qu'on soit amis, juste amis, décidons ça. Ah non, je réponds, ça veut dire quoi être amis quand on s'est tant aimés, ça n'existe pas ce glissement-là, c'est même immoral de passer de ça à ça, c'est hors de question.


Pablo prend la vie à bras-le-corps, tout est lutte, tout est défi, le monde se divise entre bouffeurs de vie et impotents qui passent leur temps à soigner leurs petits ulcères de l'âme.


Ça me plaît aussi, ça, en lui, ce côté corrida perpétuelle, taureau et torero en une personne, il n'a peur ni de lui, ni de la vie, ni des autres, ni de se faire mal, ni de tout ce qui m'empêche, moi, d'avancer. Avec lui, l'avenir c'est maintenant. Ce qui compte, c'est la course, c'est ce qu'il dit toujours : ce qui empoisonne l'existence, c'est de trop penser à la ligne d'arrivée, on aura bien le temps d'y penser après, quand on aura perdu, ou quand on ne pourra plus courir.


les pauvres n'ont qu'à être riches, il a dit, je le suis bien moi.


Oui, peut-être que c'est mieux comme ça, dans le fond. Peut-être qu'il fallait qu'on se quitte pour devenir adultes. Peut-être que c'était le seul moyen de grandir avant de vieillir, de ne pas devenir, un jour, des vieux bébés gâtés. Peut-être qu'il le fallait pour savoir un jour ce qu'aimer veut vraiment dire. Aimer ça ne veut pas dire se ressembler. Aimer ça ne veut pas dire être pareils, se conduire comme deux jumeaux, croire qu'on est inséparables. Aimer c'est ne pas avoir peur de se quitter ou de cesser de s'aimer. Aimer c'est accepter de tomber, tout seul, et de se relever, tout seul, je ne savais pas ce que c'est qu'aimer, j'ai l'impression de le savoir aujourd'hui un peu plus.


On est partis comme ça, sur un coup de tête ; pour mon anniversaire, il m'a offert une grande carte du monde, il m'a dit choisis : j'ai fermé les yeux, laissé mon doigt errer sur le papier, et se poser sur le Brésil. Je ne sais pas ce qu'on aurait fait s'il s'était arrêté sur Melun.


C'est vrai que j'ai eu envie de mourir quand on a tué notre enfant, mais je ne le regrette pas tant que ça, finalement, cet enfant que nous n'avons pas eu. Je crois qu'il ne faut pas regretter les morts. Et encore moins quand ils n'ont pas eu le temps d'être vivants.


Et j en ai marre, en même temps, de faire attention. J'en ai marre de la myopie, de la surdité, du mutisme. Mais j'en ai marre, aussi, d'être enfermée en moi avec tous ces sentiments que j'ai proscrits, tous ces mots que je ne veux plus dire, plutôt mourir que de les dire je me dis, à la casse les mots d'occasion déjà servis, c'est comme mon coeur, et mon corps, eux aussi ils sont d'occasion, eux aussi ils ont aimé, souffert, et alors ? je ne vais pas me réincarner pour autant, ni me glisser dans l'âme d'une autre, ils sont là, ces mots, de toute façon, ils sont dans ma tête, dans ma gorge, Pablo les boit en m'embrassant, il les entend même quand je les enferme, tu crois quoi, idiote ? tu crois vraiment que je ne les entends pas, ces mots d'amour que tu ne dis pas ? C'est lui, bien sûr, qui a raison. J'ai honte, et j'ai honte d'avoir honte. J'ai honte de les penser, les mots, et encore plus honte de ne pas pouvoir les dire. J'en ai marre de ce froid en moi. Marre de ne plus jamais avoir chaud ni mal. Marre de passer à côté de la vie, du bonheur, du malheur, des gens, des corridas, de la mort. Merde la fausse vie. Merde le noir, le silence, l'anesthésie, les chats, les jeans. Il a raison, Pablo. Faut arrêter de pas vivre. Faut arrêter de pas pleurer. Faut arrêter la rétention des larmes, ça va me donner de la cellulite dans le visage, à force. Faut que t'arrêtes d'avoir peur d'être vivante, il m'a dit l'autre jour, à l'aéroport. Chaque fois que tu mets la radio à fond dans la salle de bains, je sais que tu vas pisser. Faut arrêter, Belle du Seigneur. Faut arrêter l'amour sublime, les amants beaux et nobles et parfaits. Le matin, on est chiffonné, on a mauvaise haleine, c'est comme ça, faut accepter, c'est ça aussi la vie. La vie, c'est qu'un jour je quitterai Pablo, ou Pablo me quittera. Je lui préférerai quelqu'un ou il en aura marre de moi, et ce sera triste mais ce ne sera pas tragique. Et puis la tristesse passera, elle aussi, comme le bonheur, comme la vie, comme les souvenirs qu'on oublie pour moins souffrir ou qu'on mélange avec ceux des autres ou avec ses mensonges. Le parfum fade du lait de coco, nos pieds écorchés par les tongs, les immenses mille-pattes qui courent sur les chemins de terre, l'eau écarlate du fleuve Garapoa, le petit âne ébouriffé qui s'ébrouait dans les flaques comme un chiot, et ce grand chien jaune qui nous suit depuis notre arrivée, moi j'ai déjà des souvenirs avec Pablo, c'est déjà ça de pris, c'est le jour qui s'est levé. Tu vois, Louise, on recommence, il m'a dit ce matin. C'est ça qui compte, recommencer. Je ne l'aime pas comme j'aimais Adrien. Je ne l'aime plus comme aiment les enfants. La vie est un brouillon, finalement. Chaque histoire est le brouillon de la prochaine, on rature, on rature, et quand c'est à peu près propre et sans coquilles, c'est fini, on n'a plus qu'à partir, c'est pour ça que la vie est longue. Rien de grave.