Scènes de la vie conjugale
Ingmar BERGMAN

Mon avis

Notre couple n’est jamais à l’abri de l’évolution de la personne avec qui l’on vit et de notre propre évolution personnelle. Qu’une colossale surprise peu survenir un matin, un soir, n’importe quand. Peut-être cela fait-il parti du cours de la vie mais pourtant, nous le refusons au fond de nous.

On a tendance à se dire qu’un humain n’est pas fait pour vivre avec la même personne toute sa vie même si un amour peut perdurer.

Je ne suis pas certain qu’il soit bénéfique de prendre connaissance de ce genre de situation qui peut nous arriver à nous-même un jour. On prend le risque d’appréhender au lieu de laisser faire les choses avec une certaine spontanéité.

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Extraits

J'ai mis trois mois pour écrire cette oeuvre, mais il m'a fallu un temps assez long de ma vie pour la vivre. Je ne suis pas certain que cela aurait été mieux si c'était le contraire qui s'était produit bien que cela eût été plus élégant. J'ai éprouvé comme de l'affection pour ces gens pendant que je m'intéressais à eux. Ils étaient quelquefois passablement adultes. Ils disent bien des sottises et, parfois, certaines choses raisonnables.



Marianne : Je trouve Johan plutôt sympathique.

Johan : Merci, c'est gentil.

Marianne : Nous sommes mariés depuis treize ans.

Johan : Je viens de renouveler le bail.


Marianne : […] Le manque de problèmes était en soit un sérieux problème.


Marianne : Je me demande si la fidélité peut être autre chose qu'une évidence. Je crois que la fidélité ne peut jamais être une contrainte ou un parti pris. On ne peut jamais se promettre de rester fidèle. La fidélité existe ou n'existe pas. Cela me plait d'être fidèle a Johan, voila pourquoi je suis fidèle. Mais j'ignore naturellement ce qu'il en sera demain.


Marianne : L'amour, personne ne m'a jamais dit ce que c'est. Et je ne suis même pas sure qu'il faille le savoir. Mais si tu souhaites une description qui soit exhaustive, tu peux prendre la bible. Là, Saint Paul décrit ce que c'est l'amour. Le seul inconvénient, c'est que sa définition nous écrase. Si l'amour est ce que dit Saint Paul, c'est une réalité si rare que presque aucun homme ne l'a connue. Mais en tant que texte à lire à haute voix à des mariages ou autres solennités, ce passage est assez impressionnant. Moi je pense qu'il suffit d'être aimable avec son compagnon. La tendresse c'est bien aussi. Et l'humour, la camaraderie, la tolérance. Ne pas attendre de l'autre des choses extraordinaires. Si on arrive à tout ça… l'amour, alors, ce n'est plus tellement important.

Mme PALM : Mais pourquoi cette fougue ?

Marianne : Je passe mon temps dans mon métier (avocate) à voir défiler des gens qui, un jour, se sont retrouvés écrasés sous le poids d'exigence sentimentales absurdes. C'est inhumain. Je voudrais... […] que nous ne soyons pas tenus les uns et les autres à jouer un tas de rôles que nous refusons de jouer. Que nous puissions vivre ensemble plus simplement, plus tendrement.

Mme PALM : Tu voudrais une vie plus romantique ?

Marianne : Non, ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. En fait, je voulais dire tout le contraire.


Katarina : Je vais t'avouer une chose qui m'étonne moi-même. Au milieu de tout ce fatras (couple sur le point de rupture), j'éprouve pour lui une tendresse désespérée. Je comprends son angoisse, ce sentiment de vide qui est en lui et son ennui, sa panique. Et je crois étrangement qu'il connaît de moi quelque chose que personne d'autre que lui ne connaît.


Peter (cynique) : Katarina est un homme d'affaire. […] elle est, en plus, une artiste géniale. Elle a un QI de je ne sais pas combien. Elle est, en plus, bien roulée. Un caractère magnifique dans une enveloppe magnifique. Je ne comprendrais jamais comment on a pu me laisser pénétrer entre les cuisses de ce monstre de perfection. C'est un mystère.


Katarina : Je vais te dire une chose Peter : physiquement, tu me dégoûtes. Tu me dégoûtes à un tel point que je suis prête à me payer une passe pour me rincer une bonne fois le sexe de tout ce que t'as pu y cracher dedans.


Marianne : Tu crois vraiment que deux êtres puissent vivre ensemble toute leur vie ?

Johan : C'est une convention idiote qui nous vient de je ne sais où. On devrait signer des contrats de cinq ans. Ou établir un contrat renouvelable par accord tacite et qu'on pourrait dénoncer tous les ans.


Marianne : Je sais pourquoi Katarina et Peter vivent un enfer.

Johan : Ah bon.

Marianne : Ils ne parlent pas le même langage. Ils sont obliges de traduire dans une troisième langue plus claire pour comprendre ce qu'ils veulent dire.


Marianne : Je vois ça tout le temps dans mon travail (avocate). On dirait parfois que mari et femme ne se sont parlé que par communications interurbaines avec des téléphones détraqués. Parfois, on croirait entendre deux magnétophones programmés à l'avance. Et parfois, c'est le grand silence interplanétaire.


Marianne : Chaque jour, chaque heure, chaque minute de notre vie est quadrillée. Et dans chaque petit carré, il est inscrit ce que nous devons faire. Les carrés se remplissent au fur et à mesure et bien longtemps à l'avance. Et qu'il y ait soudain un carré sans rien de prévu, nous voila pris de panique et nous nous dépêchons de le remplir avec toutes sortes de pattes de mouches.


Johan : La vie à la valeur qu'on lui accorde, ni plus ni moins. Je refuse de vivre selon le point de vue de l'éternité.


Marianne : Et qu'en dit votre mari ?

Mme JACOBI (une cliente) : Il ma demandé de réfléchir. Il m'a demandé cent fois ce qui n'allait pas entre nous puisque je voulais divorcer. Je lui ai répondu que c'était parce qu'il n'était pas possible de continuer une liaison quand il n'y avait pas d'amour. Alors, il m'a demandé en quoi devait consister cet amour. Et je lui ai répondu cent fois que je n'en savais rien puisqu'il n'était pas possible de décrire une chose qui n'existe pas.


Mme JACOBI (une cliente) : Je m'imagine avoir en moi des possibilités d'amour, mais elles demeurent enfermées dans une chambre close. Le malheur, c'est que la vie que j'ai menée jusqu'à présent n'a fait que bloquer de plus en plus ces possibilités. Ca ne peut pas durer. Donc mon premier pas sera que je demande le divorce. Je crois que mon mari et moi, nous nous paralysons mortellement.

Marianne : Mais c'est affreux.

Mme JACOBI (une cliente) : C'est affreux. Il se passe en effet quelque chose de bizarre. Mes sens, je veux parler du toucher, de la vue, de l'ouie commencent à me trahir. Par exemple, je peux dire que cette table est une table. Je peux la voir, je peux la toucher. Mais la sensation que j'en ai demeure mesquine et sèche. […] et c'est pour tout pareil. La musique, les parfums, les visages des gens, leurs voix. Tout devient plus pauvre, plus terne, sans dignité. […]

Marianne : Et vous êtes fermement décidée ?

Mme JACOBI : Je n'ai pas le choix.


Eva (soupire; elle allume sa cigarette et reste assise à se délecter de la fumée) : C'est bon. Mon dieu, que c'est bon. Maintenant, ça va.

Johan : Et après, tu auras mauvaise conscience et ce sera également bon. De nos jours, il ne faut négliger aucune occasion de volupté.


Johan : As-tu jamais entendu parler d'un orchestre symphonique féminin ? Tu imagines cent dix bonnes femmes avec leurs ennuis de règles devant interpréter ensemble l'ouverture de la Pie voleuse de Rossini ?


Johan : J'ai entendu un femme qui disait : Mais nous, les femmes, ne sommes-nous pas particulièrement douées pour la tendresse ? Je n'ai rien osé répondre. Je suis bien élevé. Ce sont la des argument de propagande dont vous vous servez quand vous voulez échapper à une situation délicate. Mais je voudrais quand-même poser cette question : les femmes ne sont-elles pas particulièrement douées pour la cruauté, la brutalité, la vulgarité ?


Marianne : tu trouves que je ne suis pas assez tendre ?

Johan : la tendresse, cela prend du temps.

Marianne : Tu n'en reçois donc pas suffisamment.

Johan : Nous n'en recevons pas suffisamment. Et nous n'en donnons pas assez.

Marianne : voila pourquoi je voulais que nous partions tous les deux cet été.

Johan : Je ne pense pas que la tendresse puisse être un arrangement pour l'été.


Johan : Bonne nuit.

Marianne : Bonne nuit, mon chéri.

Johan : Tu as remonte le réveil ?

Marianne : Oui, j'y ai pense. (Un silence) Johan ! Si tu veux qu'on fasse l'amour…

Johan : Merci de me le demander. Mais je dors déjà. Bonne nuit ma chérie.

Marianne : Bonne nuit. Dors bien.


Johan : […] Je vais tout bonnement disparaître, tu entends. M'évanouir dans la nature. Je paierai tout ce que raisonnablement je pourrais payer pour que vous ne soyez pas dans l'embarras, toi et les enfants. Je n'ai aucun besoin. Une seule chose m'intéresse : me tirer une bonne fois de tout ça. Tu sais de quoi j'en ai le plus marre ? De cette sempiternelle discussion pour savoir ce que nous allons faire, ce qu'il faut que nous fassions et par égard pour qui, pour quoi. Et ce que pense ta mère. Et ce que pensent les gosses. Et comment faire pour ce dîner, ne vaudrait-il pas mieux inviter mon père. […] Et il faut aller à Saint Moritz. Il faut célébrer noël et paques et la pentecôte et les anniversaires et les fêtes et toutes une ribambelle de fêtes et d'anniversaires qui n'en finissent jamais. […] Je sais que je suis injuste.je sais que nous avons eu une bonne vie ensemble. Et je crois qu'au fond je t'aime toujours. Oui, je sais que maintenant que j'ai rencontre Paula, d'une certaine façon, je t'aime encore plus. […] Je ne comprends pas ce que j'appelle mon amertume et qui n'a fait qu'aller de mal en pis.

Marianne : Pourquoi n'as-tu jamais parle ?

Johan : Comment parler de ce qui n'a pas de mots. Comment expliquer que cela m'ennuie de faire l'amour, même si techniquement, tout se déroule parfaitement. Comment expliquer qu'on a envie de te battre quand on te voit toute propre et toute jolie en train de déguster tes œufs à la coque au petit déjeuner ?


Johan : […] Pour moi, l'endroit où j'habite m'est en quelque sorte égal puisque je considère toute demeure comme passagère. Il faut trouver son assurance en soi. […] notre assurance tenait à un ensemble de rites. […] tu sais à quoi elle ressemble mon assurance ? Je vais te le dire. Je pense que la solitude est totale. S'imaginer autre chose est une illusion. Prends-en conscience. […] mais ne crois jamais que tu pourras vaincre la solitude. Elle est absolue. Tu peux faire comme si il existait une communion sur différents plans, mais cela restera un faux-semblant religieux, politique, amoureux, artistique, etc. la solitude n'en demeurera pas moins totale. Le plus sournois, c'est quand il t'arrive de croire qu'il y a communion. Prends conscience que c'est un leurre. Tu éviteras ainsi d'être déçu, plus tard, lorsque tout rentre dans l'ordre. Il faut vivre en sachant que la solitude est totale. Alors, on cesse de se plaindre et de gémir. Alors, on l'a vraiment son assurance et on apprend à accepter l'absurde avec une certaine délectation. […]

Johan : Tout n'est que paroles! On formule pour exorciser le grand vide. D'ailleurs, c'est bizarre. As-tu réfléchi au fait que le vide fait mal ? On aurait pu croire qu'il donnait le vertige ou d'autres malaises. Mail il brûle comme le feu.


Marianne : Pour s'acheter une sécurité extérieure, ce monde exige un prix très élevé : accepter la destruction permanente de sa personnalité. […] Il n'est pas difficile de déformer dés le départ les tentatives d'un enfant qui veut se faire valoir. Dans mon cas, cela s'est passe grâce à l'injection d'un poison efficace à 100% : la mauvaise conscience. D'abord vis-à-vis de maman, puis, vis-à-vis de mon entourage et pour finir, mais ce ne fut pas le moindre, vis-à-vis de Jésus et de Dieu. Et tout d'un coup, j'entrevois qui j'aurais pu être si je ne m'étais pas soumise à ce lavage de cerveau.


Johan : Je vais te dire une banalité. Mais pour tout ce qui touche aux sentiments, nous sommes des analphabètes. […] nous apprenons tout sur notre anatomie, sur l'agriculture, la racine carrée de Pi, tout ce que tu voudras, mais sur notre âme, pas un mot. Nous sommes d'une ignorance stupéfiante tant en ce qui nous concerne qu'en ce qui concerne les autres. De nos jours, on dit un peu vaguement qu'il faut élever les enfants dans des idées d'humanité et de compréhension, des idées de coexistence, d'égalité, enfin tous les mots du vocabulaire à la mode. Mais personne ne s'est jamais dit qu'il fallait que nous apprenions d'abord quelque chose sur nous-mêmes et sur nos propres sentiments. Notre peur, notre solitude, notre colère. Sur ce chapitre, nous sommes abandonnés, ignorants, remplis de mauvaise conscience et d'ambitions déçues. Il est presque inconvenant de donner conscience de son âme à un enfant. […] Comment pourra-t-on jamais comprendre quelque chose aux autres, si on ne sait rien sur soi.


Marianne : […] Connaître, c'est avoir une plus grande possibilité de choix et donc encore plus d'angoisse.


Marianne : […] C'est bizarre. Pourquoi nous disons-nous maintenant la vérité ? Je le sais. Parce que nous n'exigeons plus rien.


Marianne : Tu l'aimes ?

Johan : Toujours cette sempiternelle question de femme. Elle est gentille, intelligente, sympathique, propre, bien élevée, elle présente bien et sexuellement, elle ne manque pas d'attrait. J'aime bien prendre mon petit déjeuner avec elle.


Johan : […] Je suis un enfant avec des organes génitaux aptes à… une fabuleuse combinaison pour des femmes ayant des sentiments maternels.


Johan : […] C'est la grande différence entre toi et moi. Parce que je refuse d'accepter le non-sens total derrière la conscience totale. Je ne peux pas vivre avec cette lumière froide sur mes efforts. Si tu savais la peine que j'ai avec ma propre absurdité. J'essaie sans cesse de me redonner du cœur au ventre en me disant que la vie a la valeur qu'on veut bien lui donner. Mais je ne trouve aucune joie à ce genre de phrase. Je veux quelque chose en quoi je puisse croire.


Johan : […] Je t'aime à ma façon, imparfaite et plutôt égoïste. Et il m'arrive de m'imaginer que tu m'aimes à ta façon bruyante et houleuse. Je crois tout simplement que nous nous aimons. D'une façon terrestre et imparfaite. […]

Johan : Mais ici, tout simplement, au milieu de la nuit, dans une maison obscure, quelque part au monde. Je suis assis et tu es dans mes bras. Et je suis dans tes bras. Impossible de prétendre que ce soit par sympathie ou humanité.